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Sylvain Grenier, docteur en pharmacie et directeur du Programme de protéines plasmatiques et de produits connexes
« Nous devons fournir les produits dont les gens ont besoin tout en maximisant les budgets pour que le système soit durable. »
Le pharmacien clinicien Sylvain Grenier, directeur du Programme de protéines plasmatiques et de produits connexes, estime que la bonne gestion du programme repose sur un équilibre complexe conditionné par un objectif directeur : garantir à tous les Canadiens le même accès à des soins adéquats et efficaces.
Vous le constatez dans votre nouveau rôle, l’utilisation des protéines plasmatiques continue de croître de façon exponentielle. De quelle façon la liste de produits plasmatiques de la Société canadienne du sang évolue-t-elle pour suivre le rythme?
Auparavant, il y avait relativement peu de produits et la liste servait surtout à la gestion des stocks. Au fil du temps, les ministères de la Santé des provinces et des territoires ont approuvé d’autres produits, que nous avons ajoutés à la liste en nous assurant qu’ils iraient aux patients qui en avaient besoin. Bien sûr, nous les achetions toujours en négociant les meilleurs contrats possible.
Le nombre et la complexité des produits utilisés ont augmenté au cours des dernières années, si bien qu’il est devenu nécessaire d’instaurer une surveillance de la liste du point de vue clinique. Souvent, une même maladie peut être traitée par divers médicaments, chacun ayant ses pour et ses contre. Par exemple, un produit peut s’avérer bénéfique pour un sous-groupe de patients, mais ne pas donner d’aussi bons résultats pour un autre. Le défi est de déterminer les produits les plus efficaces. Et comme la liste est financée par les fonds publics, tout produit que nous recommandons est évalué selon des critères de coût et de durabilité.
En quoi l’évolution des produits a-t-elle influencé la gestion de la liste?
Comme l’ont fait les provinces pour leur programme de médicaments, nous sommes en train de mettre au point une procédure de sélection des produits, laquelle comprendra une plus vaste consultation des patients. Pour commencer, nous recueillons plus de données sur l’utilisation des produits une fois qu’ils quittent les banques de sang. Ce type d’information sera vital pour la prise de décision. En nous inspirant là encore d’autres programmes de médicaments, nous allons appliquer le principe d’usage limité, ce qui signifie que l’accès à certains produits sera limité aux patients qui en ont le plus besoin.
Pouvez-vous nous expliquer comment se fait la sélection des produits?
La procédure actuelle comporte deux étapes. La première consiste en une évaluation médicale et scientifique couvrant chaque aspect de l’efficacité et de l’innocuité du produit. Si un produit ne respecte pas nos critères dans ces deux domaines, il est clair qu’il ne sera pas retenu.
Les produits qui réussissent ce premier test passent à la deuxième étape : l’analyse pharmacoéconomique. Cette analyse est effectuée en collaboration avec l’Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé (ACMTS). Tout d’abord, nous vérifions si d’autres produits ont le même usage. Si c’est le cas, nous regardons si le nouveau produit offre un meilleur rapport coût-efficacité. Mais ce n’est pas parce qu’un produit est moins cher que c’est forcément celui que nous allons retenir; c’est plus compliqué que cela. Par exemple, un produit peut coûter plus cher, mais être plus économique pour les hôpitaux parce qu’il est plus simple à administrer et nécessite moins de ressources. Ce produit présente donc des avantages et pour les patients, et pour les hôpitaux; nous devons en tenir compte.
Si le produit sert à traiter une maladie pour laquelle aucun traitement n’existe encore, l’analyse pharmacoéconomique examine l’impact sur les patients : est-ce que ce produit améliorera la qualité de vie des patients? Leur permettra-t-il de vivre plus longtemps? Là encore, la décision d’ajouter ou non le médicament à la liste met en balance l’efficacité et les coûts, comme pour n’importe quel médicament sur le marché canadien.
Dans le cadre de notre démarche d’amélioration continue, nous travaillons davantage avec l’ACMTS et mettons en commun nos savoir-faire respectifs. Nous voulons développer une procédure qui comportera une importante phase de consultation des patients, semblable à celle qu’utilisent les programmes d’assurances-médicaments pour déterminer les médicaments qu’ils couvriront.
Une fois l’évaluation terminée, comment la décision se prend-elle?
Nous transmettons les résultats aux ministres de la Santé des provinces et des territoires. Notre rapport comprend les préférences des patients et des cliniciens ainsi que l’incidence potentielle sur les contrats en place et les stocks existants. Les responsables des gouvernements se concertent et rendent leur décision. Si le produit est accepté, nous l’ajoutons rapidement à nos stocks et planifions sa distribution.
Comment négociez-vous les prix avec les fournisseurs?
La Société canadienne du sang lance des appels d’offres régulièrement, à intervalles de quelques années. Lorsque de nouvelles catégories de médicaments ou de traitements deviennent disponibles entre les appels d’offres, les fournisseurs soumettent les données financières à l’ACMTS pour l’analyse pharmacoéconomique. Et si l’on estime qu’un produit n’offre pas un bon rapport coût-efficacité, on peut négocier avec les fournisseurs pour obtenir un meilleur prix.
L’appel d’offres porte sur des catégories de médicaments qui englobent plusieurs produits. L’efficacité et l’innocuité des produits ayant été établies, nous soupesons les préférences des patients et des cliniciens en regard des prix, que nous voulons le plus avantageux possible. Il nous faut aussi tenir compte d’autres facteurs, comme les conséquences sur les patients et les cliniciens, sans oublier l’éventuelle transition entre les produits; sera-t-il facile de passer d’un médicament à l’autre? Lorsqu’on ajoute ces facteurs à l’équation, il arrive qu’un produit plus cher à l’achat nous en donne plus pour notre argent au bout du compte.
Bref, il y a beaucoup de variables en cause et ces variables changent avec le temps.
Qu’est-ce qui détermine le nombre de produits sur la liste?
Nous faisons des prévisions à partir des meilleures données disponibles, mais vu le nombre de variables, l’exercice peut être difficile. Par exemple, au cours de la dernière année, nous avons connu une pénurie de certaines immunoglobulines sous-cutanées (IgSC), des médicaments que les patients s’injectent eux-mêmes (voir article connexe). Comme la formule intraveineuse de ces produits était disponible, aucun patient n’a manqué d’immunoglobulines. Cependant, la demande a été beaucoup plus forte que prévu et les stocks ont baissé rapidement.
Cette situation était en partie attribuable à une augmentation du nombre de patients à qui l’on prescrit des Ig pour des troubles neurologiques. Ce traitement est prometteur, mais les doses sont environ trois fois plus élevées que celles prescrites pour les maladies immunitaires. Autre facteur : plusieurs hôpitaux gardent les places en médecine d’un jour pour les procédures qui ne peuvent être réalisées qu’en milieu hospitalier. La procédure d’injection d’IgSC, elle, peut être effectuée à la maison par les patients eux-mêmes. Cette option n’est pas nécessairement moins coûteuse, mais elle libère des places en médecine d’un jour, ce qui permet aux hôpitaux de traiter d’autres patients et de réduire les périodes d’attente.
Si aucun patient n’a manqué d’Ig, c’est parce que la liste est nationale et que nous collaborons avec les gouvernements provinciaux et territoriaux ainsi qu’avec des associations de patients et de cliniciens. En tant que pharmacien praticien, je sais que les pénuries de médicaments sont chose courante. Il y en a près de 2 000 au Canada en ce moment même, et dans certains cas, les patients n’ont aucun accès aux médicaments et doivent s’en passer. Il était gratifiant de voir que la pénurie d’IgSC n’a entraîné aucune interruption des soins aux patients, un succès que l’on doit à une gestion concertée à laquelle ont participé nos fournisseurs et d’autres acteurs clés.
Comment faites-vous pour assurer un approvisionnement adéquat?
Pour les maladies relativement rares, nous pouvons conserver de petites quantités des protéines plasmatiques requises, et en cas de rupture d’approvisionnement, nous pouvons généralement nous tourner vers d’autres fournisseurs. Pour les produits dont nous avons besoin en plus grandes quantités, nous envisageons la possibilité d’avoir plus d’un fournisseur. Nous devons cependant évaluer ce qui est le plus avantageux : avoir plusieurs fournisseurs ou n’en avoir qu’un seul et obtenir un tarif unitaire plus bas. En outre, si nous offrons deux médicaments similaires, nous pouvons difficilement prédire lequel aura la préférence des patients ou de leurs médecins.
Bref, vu tous les facteurs à prendre en compte, prévoir l’avenir est un véritable défi. Ce n’est pas une simple question de comparaison des coûts entre deux options. Les systèmes de santé provinciaux et territoriaux font maintenant des analyses holistiques et considèrent de plus en plus les aspects médicaux, scientifiques, économiques et sociaux.
Quel rôle les patients jouent-ils dans la constitution de la liste?
Les patients savent mieux que personne ce que c’est de vivre avec leur maladie. Ce qu’ils jugent important doit donc être pris très au sérieux, et c’est pourquoi nous les consultons davantage. Ils participent maintenant à l’évaluation des appels d’offres aux côtés des médecins, des décideurs du milieu de la santé et de nos propres spécialistes de la médecine, des finances et de la chaîne d’approvisionnement.
Pour la suite, nous prévoyons que les patients et autres parties prenantes contribueront encore davantage à la sélection des produits. Mais pour l’instant, la demande de protéines plasmatiques continue d’augmenter et nous devons fournir les produits dont les gens ont besoin tout en maximisant les budgets pour que le système soit durable. Nous réussirons à relever le défi, qui en est un de taille, seulement si nous travaillons tous ensemble.