« Nous voulons créer de meilleurs résultats pour les patients tout en maximisant les ressources d’un système de santé sous pression. »
Le Dr Heyu Ni, scientifique principal à la Société canadienne du sang, dirige de la recherche de pointe qui ouvre la voie à des traitements plus efficaces et contribue à rehausser les normes en matière de soins et de traitements.
« Après avoir terminé mes études de médecine, en Chine, j’ai travaillé comme médecin dans un hôpital et j’ai vu des patients succomber à la maladie, se souvient Heyu. Je voulais comprendre pourquoi il était si difficile de guérir les gens ou de trouver des traitements. C’est la principale raison pour laquelle j’ai décidé de devenir chercheur. »
Immunologue et hématologue de renom, Heyu dirige une équipe au Centre de recherche Keenan de l’Hôpital St. Michael, à Toronto. Ses études sur les plaquettes et leur rôle dans la formation de caillots sanguins ont donné lieu à des découvertes majeures pour le traitement de thromboses, de troubles de la coagulation et de maladies du système immunitaire. L’influence grandissante de ses travaux lui a valu une subvention Fondation des Instituts de recherche en santé du Canada. Cette subvention, accordée en 2018, se traduit par des fonds de 2,4 millions de dollars sur sept ans.
Trois grands domaines d’intérêt
Heyu et son équipe, qui étudient divers aspects de la fonction des plaquettes, se concentrent sur trois grands domaines d’intérêt : l’incidence du régime alimentaire sur la thrombose et l’hémostase, le purpura thrombopénique immunologique et les troubles immunitaires chez la femme enceinte.
Régime alimentaire, thrombose et hémostase
Les plaquettes, qui ont une fonction de coagulation naturelle, maîtrisent le saignement des vaisseaux endommagés. Elles peuvent cependant bloquer l’écoulement du sang, ce qui peut provoquer des épisodes thrombotiques comme des crises cardiaques ou des accidents vasculaires cérébraux. Heyu et ses collègues tentent de comprendre comment ces épisodes surviennent exactement dans l’espoir de mettre au point un médicament qui préviendrait ou traiterait les thromboses et les troubles de la coagulation. Ils voient également dans leurs travaux l’occasion de trouver des moyens de mieux préserver la qualité des plaquettes pendant leur passage dans les banques de sang.
En 2018, Heyu et son équipe ont publié, dans la revue Nature Communications, une étude qui, pour la première fois, liait une protéine plasmatique appelée ApoA-IV à la coagulation des plaquettes. Leur étude montre que l’ApoA-IV bloque l’agrégation des plaquettes, ce qui donne à penser que cette protéine pourrait contribuer à prévenir les troubles thrombotiques comme les crises cardiaques et les accidents vasculaires cérébraux.
Cette découverte a mis au jour un lien important entre le régime alimentaire et la santé cardiovasculaire, ce qui a retenu l’attention des médias partout dans le monde. Les scientifiques reconnaissaient déjà que le processus de digestion accroissait l’activité des plaquettes dans le sang, renforçant le risque de formation de caillots. L’étude du Dr Ni a révélé que les niveaux d’ApoA-IV augmentait aussi, particulièrement pendant la digestion d’aliments à haute teneur en gras insaturés.
« C’est la première étude qui établit une relation entre l’ApoA-IV, les plaquettes et les thromboses, souligne Heyu. Nous avons pu démontrer que de hauts niveaux d’ApoA-IV réduisent l’athérosclérose, c’est-à-dire la formation de plaques dans les vaisseaux sanguins. Nous avons aussi découvert que certains aliments, par exemple l’huile d’olive, atténuent l’hyperactivité des plaquettes, ce qui évite une aggravation de la maladie cardiovasculaire. » Poursuivant leur recherche, Heyu et son équipe se penchent sur des traitements potentiels contre diverses maladies caractérisées par de l’inflammation ou la coagulation des plaquettes. Là encore, les chercheurs étudient parallèlement les effets sur la qualité des plaquettes pendant la conservation.
Purpura thrombopénique immunologique (PTI)
Chez les personnes souffrant d’un PTI, le système immunitaire détruit les plaquettes, ce qui compromet la formation naturelle de caillots et, par conséquent, la capacité de l’organisme à se protéger des blessures. Auparavant, on traitait le PTI en transfusant des plaquettes et, dans certains cas, on enlevait la rate, une procédure qui peut aider à accroître le taux de plaquettes dans le sang. Puis des traitements à base de stéroïdes et d’immunoglobulines intraveineuses (IgIV) ont donné des résultats prometteurs. Mais pour certains patients, aucun de ces traitements n’est efficace.
Creusant les causes du PTI, Heyu et son équipe ont découvert que la destruction des plaquettes par certains anticorps semble se produire dans le foie, une découverte qui l’a incité, ainsi que d’autres chercheurs, à suivre cette piste. Cette recherche sur le PTI a débouché sur un autre constat, peut-être même encore plus significatif : beaucoup de patients répondent bien à l’oseltamivir, un médicament utilisé pour soigner et prévenir la grippe mieux connu sous le nom de Tamiflu. Selon toute vraisemblance, cet antiviral empêcherait le foie de déclencher une réaction immunitaire nocive.
La possibilité qu’un médicament aussi courant puisse traiter le PTI a été bien accueillie par les systèmes de santé, qui sont toujours à la recherche de traitements offrant un bon rapport coût-efficacité. De plus, comme le fait remarquer Heyu, cette option pourrait réduire en partie la demande croissante d’IgIV et la pression qui en découle sur les ressources en plasma. « Le plasma est une ressource limitée. Si les IgIV ne s’avèrent pas efficaces contre une maladie, pourquoi les utiliser? Mieux vaut les réserver à d’autres traitements. »
Troubles immunitaires chez la femme enceinte
L’étude de la thrombopénie allo-immune fœtale ou néonatale (TAFN) constitue un troisième grand projet en cours au laboratoire de Heyu. La TAFN survient chez la femme enceinte; les anticorps de la mère attaquent les plaquettes du fœtus ou du nouveau-né. « Cette destruction des plaquettes peut causer une hémorragie dans le cerveau du bébé et même provoquer une fausse couche, explique le chercheur. Nous voulons savoir pourquoi cela se produit et comment traiter les mères. »
Bien que les traitements à base d’IgIV semblent aider dans certains cas, Heyu et son équipe veulent avoir la preuve que ces traitements fonctionnent tout en explorant des solutions qui pourraient être encore plus efficaces. « Nous étudions surtout la sensibilité aux IgIV, qui diffère d’une patiente à l’autre, et essayons de trouver d’autres solutions. Par exemple, nous tentons de voir s’il serait possible d’empêcher les anticorps de la mère de traverser le placenta. Nous voulons créer de meilleurs résultats pour les patients qui souffrent de troubles plaquettaires tout en maximisant les ressources d’un système de santé qui est sous pression. »
Partager et motiver
Comme tous les chercheurs du Centre d’innovation de la Société canadienne du sang, Heyu se fait un devoir de partager les découvertes de son équipe. Rien que l’année dernière, son équipe et lui ont publié onze articles évalués par des pairs et deux chapitres de manuels. Leurs travaux ayant reçu une attention médiatique internationale, ils ont contribué à faire comprendre au grand public que la recherche faite en laboratoire débouche sur des traitements concrets qui améliorent et sauvent des vies. De plus, Heyu participe à des événements partout dans le monde afin de parler de ses recherches et d’apprendre de ses pairs qui travaillent à des projets connexes.
Par-dessus tout, Heyu profite de chaque occasion qui lui est donnée d’enseigner à de jeunes chercheurs. Professeur à l’Université de Toronto, il a supervisé jusqu’à présent plus de 120 étudiants de premier, deuxième et troisième cycles. « J’ai formé beaucoup d’excellents étudiants, qui utilisent leurs compétences pour faire progresser la science et les soins médicaux. C’est un autre type de contribution que je peux faire : préparer la prochaine génération de chercheurs. »